Le 17 avril 1975, les Khmers rouges entrent dans Phnom Penh. Dès le lendemain, le pays est rebaptisé Kampuchéa démocratique. Sous prétexte d’un bombardement américain imminent, la population est sommée de quitter la capitale en quelques heures. Malades, blessés, personnes âgées, enfants : personne n’est épargné. Commence alors un exode forcé, improvisé et brutal, qui coûte la vie à des milliers de personnes, mortes de faim, de soif ou d’épuisement sur les routes.
Tableau de l'artiste Vann Nath, l'un des très rares survivants du centre de torture Tuol Sleng dans le centre de Phnom Penh - Painting by the artist Vann Nath, one of the very few survivors of the Tuol Sleng torture center in central Phnom Penh
Les anciens responsables du régime précédent sont rapidement exécutés. Norodom Sihanouk est rappelé au pays et nommé président, mais son rôle reste purement symbolique. Le véritable pouvoir est exercé par Pol Pot, qui demeure invisible aux yeux du peuple. Il gouverne au nom de l’Angkar, une organisation abstraite, omniprésente et toute-puissante.
L’objectif du régime est clair : transformer radicalement la société cambodgienne. Les villes sont vidées et considérées comme des foyers de corruption. La propriété privée est abolie, les terres collectivisées, et la population est contrainte de travailler dans des coopératives agricoles. Les journées sont longues, les quotas élevés, et les sanctions sévères. Les familles sont séparées, la vie quotidienne strictement encadrée, et l’endoctrinement commence dès l’enfance.
Paradoxalement, alors que les récoltes sont importantes, le riz est exporté vers la Chine afin de rembourser d’anciennes dettes contractées par le parti. La famine s’aggrave. En parallèle, le régime mène une politique de purges successives, justifiées par une prétendue « purification idéologique ».
Les premières victimes sont les anciens cadres du régime de Lon Nol (ancien premier ministre de Norodom Sihanouk qui avait pris le pouvoir par la force en 1969). Viennent ensuite les intellectuels, les citadins, les personnes jugées trop instruites ou soupçonnées de pensée critique. À partir de 1978, les arrestations deviennent arbitraires, alimentées par la peur d’espions vietnamiens. La dénonciation devient une arme quotidienne. Des centres de détention, de torture et d’exécution se multiplient à travers le pays. L’un des slogans du régime résume cette logique implacable : « Mieux vaut tuer un innocent que laisser vivre un coupable. »
Canal creusé à la main lors des travaux forcés pendant le Kampuchéa démocratique dans la région de Battambang, 2023 - Canal dug by hand during forced labor in Democratic Kampuchea in the Battambang region, 2023
En quatre ans, près d’un quart de la population cambodgienne périt, victime des travaux forcés, de la famine ou des exécutions.
En 1976, Norodom Sihanouk exprime son désaccord. Il est immédiatement écarté du pouvoir et placé en résidence surveillée. La même année, Pol Pot, convaincu que certaines régions vietnamiennes appartiennent historiquement au Cambodge, lance des attaques contre le Vietnam, ciblant notamment des civils.
La riposte ne tarde pas. En 1978, le Vietnam contre-attaque. Pol Pot sort alors de l’ombre pour tenter d’obtenir un soutien international. La Chine accepte d’aider le régime, mais cela ne suffit pas. En décembre 1978, les troupes vietnamiennes, soutenues par l’Union soviétique, lancent une invasion massive. Des centaines de milliers de Cambodgiens prennent la fuite. Parmi eux, Hun Sen, futur Premier ministre, rallie les forces vietnamiennes.
Le 7 janvier 1979, Phnom Penh est libérée. Quelques jours plus tard, la République populaire du Kampuchéa est proclamée, dirigée par Heng Samrin et Hun Sen. Les Khmers rouges se replient vers la frontière thaïlandaise. Pol Pot s’exile en Thaïlande. Le Kampuchéa démocratique s’effondre.
Le Cambodge entre alors dans une nouvelle période, sous influence vietnamienne, qui durera près de dix ans. Le pays ne retrouvera officiellement son indépendance qu’en 1989, profondément marqué par l’un des chapitres les plus sombres de son histoire.
Entre 1975 et 1979, le Cambodge plonge dans l’un des régimes les plus violents du XXᵉ siècle. Le Kampuchéa démocratique, instauré par les Khmers rouges, entraîne exode forcé, famine, purges et exécutions, causant la mort de près d’un quart de la population.
Democratic Kampuchea (1975–1979)
On April 17, 1975, the Khmer Rouge entered Phnom Penh. The very next day, the country was renamed Democratic Kampuchea. Under the pretext of an imminent American bombing, the population was ordered to leave the capital within a matter of hours. The sick, the wounded, the elderly, and children—no one was spared. What followed was a forced, improvised, and brutal exodus that claimed the lives of thousands, who died from hunger, thirst, or exhaustion along the roads.
Tableaux de l'artiste Vann Nath, l'un des très rares survivants du centre de torture Tuol Sleng dans le centre de Phnom Penh - Paintings by the artist Vann Nath, one of the very few survivors of the Tuol Sleng torture center in central Phnom Penh
Former officials of the previous regime were quickly executed. Norodom Sihanouk was brought back to the country and appointed president, but his role was purely symbolic. Real power was held by Pol Pot, who remained invisible to the population. He ruled in the name of the Angkar, an abstract, omnipresent, and all-powerful organization.
The regime’s objective was clear: to radically transform Cambodian society. Cities were emptied and denounced as centers of corruption. Private property was abolished, land collectivized, and the population forced to work in agricultural cooperatives. Workdays were long, production quotas high, and punishments severe. Families were separated, daily life strictly controlled, and indoctrination began at an early age.
Paradoxically, despite significant harvests, rice was exported to China to repay old debts incurred by the party. Famine worsened. At the same time, the regime carried out successive purges under the pretext of “ideological purification.”
The first targets were former officials of Lon Nol’s regime (the former prime minister of Norodom Sihanouk who had seized power by force in 1969). They were followed by intellectuals, urban residents, and anyone deemed too educated or suspected of critical thinking. From 1978 onward, arrests became increasingly arbitrary, fueled by fears of Vietnamese spies. Denunciation became a daily weapon. Detention, torture, and execution centers multiplied across the country. One of the regime’s slogans summed up this ruthless logic: “Better to kill an innocent than to let a guilty person live.”
La grotte de la mort, région de Battambang. Lieu d’exécution lors du Kampuchéa démocratique. 2023 - The Cave of Death, Battambang region. Execution site during Democratic Kampuchea. 2023
In four years, nearly a quarter of Cambodia’s population perished, victims of forced labor, starvation, or execution.
In 1976, Norodom Sihanouk voiced his opposition. He was immediately removed from power and placed under house arrest. That same year, Pol Pot, convinced that parts of Vietnam historically belonged to Cambodia, launched attacks against Vietnam, deliberately targeting civilians.
Vietnam soon retaliated. In 1978, it counterattacked. Pol Pot then emerged from anonymity in an attempt to secure international support. China agreed to back the regime, but it was not enough. In December 1978, Vietnamese troops, supported by the Soviet Union, launched a massive invasion. Hundreds of thousands of Cambodians fled. Among them was Hun Sen, the future prime minister, who joined the Vietnamese forces.
On January 7, 1979, Phnom Penh was liberated. A few days later, the People’s Republic of Kampuchea was proclaimed, led by Heng Samrin and Hun Sen. The Khmer Rouge retreated toward the Thai border, and Pol Pot fled to Thailand. Democratic Kampuchea collapsed.
Cambodia then entered a new period under Vietnamese influence, which would last nearly ten years. The country would not officially regain its independence until 1989, deeply scarred by one of the darkest chapters in its history.